All About Us II : Show me Love

_ _ Chaque jour, quand je rentre et que je me trouve face à cette porte rongée par l'humidité et le vent, je me demande pourquoi je rentre encore. Et chaque jour, la même réponse s'insinue dans mon esprit. Il te retrouvera, quoi que tu fasses, quoi que tu dises, et, surtout, quoi que tu en penses. Alors j'appuie sur la clenche, et pénètre dans cette espace continuellement sombre et froid. A l'image de mon cœur.
_ _ Je sais où il est ; il s'affale toujours au même endroit, sur le canapé défoncé qui souffre de sa présence. Je sais ce qu'il attend, ce qu'il va dire, ce qu'il va faire. Il est parfaitement prévisible. Et moi aussi. Alors pourquoi ? Pourquoi toujours le même résultat ?
_ _ Parce que je n'ai aucune valeur. Rien pour être aimé. Je ne suis rien. Il me le répète depuis si longtemps, qu'il est difficile de l'oublier. Je suis Rien, ne serai Rien, jamais Rien. Maman, tu as enfanté du Rien. Je suis tellement Rien qu'il ne m'appelle jamais par mon nom. Et lorsqu'il le fait …

« Andreas ! »

_ _ Je tressaille. La peur s'insinue dans mes pores avec la vitesse d'une mauvaise coke. La peur, cette peur qui tenaille l'estomac, foudroie les membres et se place perfidement au bord des lèvres. Mais cette peur qui, sans que l'on sache comment, vous tient en laisse. Un lien incassable, intact même lorsque l'on tire dessus avec la colère du désespoir. Une entrave de diamant qui n'a rien de charmeuse.

« Oui, monsieur ? Réponds-je par automatisme en traversant les pièces qui nous séparent.
- Andreas ! S'écrie-t-il de plus belle. »

_ _ Ce mot tournoie dans ma tête, accompagné de mille questions qui me sont tout simplement existentielles, dans le sens premier du terme. Qu'ai-je fait ? Que veut-il ? Que me réserve-t-il ? Que s'est-il passé pendant mon absence ? Je repasse machinalement dans ma tête le film de mes actions avant mon départ. Qu'ai-je oublié ?
_ _ Que va-t-il m'arriver ?

« Oui, monsieur, répété-je une fois face à lui, les yeux rivés sur le sol.
- Où t'étais ? »

_ _ Sa voix rauque râpe les murs, rugueuse comme une langue de serpent. Je la sens m'envelopper, me comprimer, m'écraser. Je dois résister, encore, encore un peu … Lui répondre ce qu'il désire, ne pas faire un geste de travers, ne pas lever le regard, ne pas respirer trop fort. Ne pas vivre, si c'est ce qu'il souhaite. Car, depuis longtemps, c'est bien la seule chose qu'il souhaite.

« Sur le pont, monsieur.
- Et t'as rien d'autre à foutre de tes journées ? »

_ _ Qu'ai-je fait, qu'ai-je fait, qu'ai-je fait ? L'attente est tout aussi insupportable que la sentence. Mes pupilles, qui se sont enfin habituées à la pénombre malsaine, tombent sur les cadavres de bouteilles gisant dans le salon. Un, deux, trois, quatre … Battu.

« Non, monsieur.
- Fils de pute ... »

_ _ Je serre les poings. Toujours, toujours la même chose. La même erreur. Issue de la même injonction. Un geste vif, court, atténué. Quasiment indécelable. Mais c'était son but.
_ _ Lorsqu'il m'appelle par mon nom, c'est pire. Juste pire.