All About Us II : Show me Love

_ _ Un, deux, trois ricochets. Nos jambes se balançant dans le vide, assis sur la pierre froide d'un pont sur lequel personne ne passe, on se teste encore pour savoir lequel de nous deux est le meilleur. C'est toujours lui, mais nous le faisons à chaque fois, comme un rituel. Un, deux, trois, quatre ricochets. Battu.

« Pourquoi t'as des traces dans le dos ? Me demande-t-il sur un ton platonique. »

_ _ Plouf. Zéro ricochet. Pourquoi faut-il qu'il insiste à chaque fois ? Je détourne mon regard que je tente de rendre impassible vers son visage aux traits séraphiques. D'un mouvement de la tête, il dégage deux mèches blondes de ses yeux. Des yeux que je n'ai jamais su sonder. Qui n'expriment jamais rien.

« J'suis tombé dans les escaliers. »

_ _ Et il n'ajoutait jamais rien. Comme si j'étais capable de tomber tous les soirs dans le même escalier. Ce qui aurait d'ailleurs été difficile. Il n'y a jamais eu d'escalier chez moi.
_ _ Je passe une main sur ma nuque, fait jouer ma tête d'un côté et de l'autre. Un tic nerveux qui provoque de légères décharges électriques dans ma colonne vertébrale, et réveille mes plaies. Elles ne sont jamais assez profondes pour saigner. Mais, dans mon cœur, elles saignent. Elles submergent, inondent mon organisme. Dans le plus angélique des silences.
_ _ Un vent glacial me fait frissonner. Carsten se lève, me tendant la main pour m'aider à l'imiter. Son naturel attentif me surprend et me gêne toujours ; ce n'est pas ainsi que l'on m'a élevé ... Je saisis son poignet et nous reprenons notre marche, presque lugubre, à travers le vieux parc dont les arbres, à cette époque de l'année, sont totalement dénués de feuille. Les arbres sont des menteurs : ils se cachent sous des feuilles vertes et grasses, appétissantes et pleines de vie ; ce n'est qu'à certaines saisons qu'ils se dévoilent : il ne sont que de simples morceaux de bois cherchant à crever le ciel et ses nuages. Quelle bande d'hypocrites.
_ _ Je serre les dent, mais ma chair me trahit : je suis glacé – autant de l'intérieur, que de l'extérieur. C'est l'hiver, et, selon son désir, je suis torse nu – raison pour laquelle Carsten peut admirer ma honte et ma douleur sans aucune difficulté. N'importe qui daignant poser son regard sur moi peut le voir. Et personne, personne ne le dit. Peut-être que personne ne me voit.
_ _ Je sens soudain le contact doux et chaud d'une veste sur mes épaules. Mes yeux papillonnent, et dérivent une nouvelle fois vers mon ami.

« Je … C'est bon, ça va, j'en ai pas besoin, balbutie-je en lui rendant.
- Tu claques des dents.
- Ça va j'te dis ! Tout va bien ... insisté-je en fuyant son regard. »

_ _ Il soupire discrètement, et remet sa veste. J'ai l'impression que ma vie n'est qu'un cercle vicieux monotone et inéluctable. Un éternel recommencement. Qui pourrait être confortable, s'il n'était douloureux. Mais je ne veux pas de pitié. Je ne suis pas un enfant. Je vais bien, je vous l'assure ! Je vais bien …
_ _ Et même si ça n'allait pas, qu'est-ce que ça pourrait bien changer pour vous ?