Fin du chapitre 5
_ _ Je suis agenouillé au chevet de ma mère assoupie. Sur mon visage roulent des larmes âcres. Mes épaules, parfois, tressautent. Je ne dois pas faiblir.
« Je ne sais pas qui tu es. »
« Je ne t'aime pas. »
_ _ C'était peut-être faux. C'était simplement sous le coup de la crise. Ce n'était pas elle, je le sais. Mais comment en être sûr ? Comment savoir si ces mots qu'elle crache au moindre accès d'humeur ne sont pas ceux de ma véritable mère ? Laquelle est la véritable ?
_ _ Qui est Andreas ?
_ _ La pièce est plongée dans la pénombre. Elle ne supporte pas la lumière. Elle lui fait peur. Moi, c'est le contraire. C'est cette perpétuelle obscurité qui m'oppresse. Ces volets toujours clos, ces lampes rarement allumées … Ces ombres. Partout. Je hais les ombres.
_ _ C'est ainsi qu'elle m'a trouvé. Au plus profond de mon désespoir. Elle a entre-ouvert la porte. Elle savait où chercher. Elle me connaît. Elle seule me connait vraiment.
« Marcel ... »
_ _ Sa main se pose sur mon épaule. Mon nom dans sa bouche est comme une caresse à mes oreilles. Je n'avais pas voulu me retourner lorsqu'elle était entrée dans la maison. Je n'avais pas osé détourner mon regard du corps étendu sous les draps. J'ai toujours peur qu'elle se réveille. J'ai toujours peur lorsqu'elle ne dort pas. Et, même lorsqu'elle dort, j'ai peur. Sans cesse.
_ _ Je me relève doucement. Je veux effleurer sa main ; je n'en ai pas la force. Je laisse retomber mon bras, fais quelques pas vers la sortie. Elle me suit. Je referme la porte derrière nous. Marche jusqu'à la cuisine. Je ne la regarde pas. Je sais ce qu'il va se passer.
_ _ Elle tire une chaise. S'assoit.
_ _ Mes yeux se posent sur son visage.
_ _ C'est elle qui me manque. Sans cesse.
_ _ Je baisse la tête, et fonds en larmes. Impossible d'ouvrir les paupières. J'ai honte. Tellement honte. Et tellement mal.
« Viens, Marcel. »
_ _ Et je me jette dans ses bras, me recroqueville contre sa poitrine, comme lorsque j'étais enfant. Je suis un enfant ! Je n'ai pas honte de le dire. Et je pleure contre elle, apaisé par ses douces caresses dans mon dos, mes cheveux. J'ai besoin d'elle, tellement besoin d'elle. Je n'en peux tout simplement plus …
« Je suis là maintenant. Je ne t'abandonnerai plus.
- Pardonne-moi, Ana, la coupé-je soudainement, d'une voix claire. Pardonne-moi de l'avoir si longtemps cherchée.
- C'est ta mère, Marcel. Ta vrai mère. C'est un beau combat que tu as commencé. Mais un enfant de seize ans n'est pas apte à s'occuper de sa mère, d'une personne malade, mentalement. Ce n'est pas ta faute.
- Si. Si … C'est forcément ma faute. Ce n'est sûrement pas la sienne.
- Ce n'est la faute de personne, affirme-t-elle en vrillant son regard dans le mien. Tu m'entends ? Personne. »
_ _ Je laisse cette idée pénétrer dans mon esprit. Ce n'est pas ta faute. J'avais juste besoin de quelques mots. Je suis encore un enfant. J'ai besoin que l'on me mente. J'ai besoin de ces mots idiots, inutiles. J'ai besoin d'une mère. D'une vrai mère. De ces mères qui vous écoutent, vous consolent, vous parlent, vous protègent. Vous aiment. Sans animosité aucune. Sans jamais arrêter de vous aimer. Pas même une seule seconde.
_ _ Je me détache lentement d'elle, saisis une autre chaise. Je tente de reprendre mes esprits. Que cherché-je ? Il y a un vide dans mon esprit. Il y a toujours quelque chose qui manque. Quelque chose qui n'est pas à sa place. Qui attend encore. Quelque chose, de sombre, si sombre …
« Ana … Qui est Andreas ? »
*
Montre-moi l'amour. Ouvre la porte. Ne me laisse plus seul. Jamais.