Blue - Alwenah

Cette mer devant moi, c’est comme si elle allait me lacérer. Ensuite, elle m’engloutira. L’eau est déchaînée ce soir. Peut-être qu’elle a mal ? Le bateau tangue, j’ai peur qu’il tombe. Ma chevelure oscille de gauche à droite. De bâbord à tribord, au gré des courants et de la houle. J’ai l’impression qu’elle hésite, qu’elle doute. Qu’elle a peur. Je sens que mes intestins se nouent et se tordent. Bientôt, je vais les laisser couler, en ultime héritage.

Une larme m’échappe, pour venir s’évanouir en cette étendu coléreuse. Je suis certaine que je ne serai pas la première à mourir ici, de cette façon ? Il doit y avoir quelques corps décomposés, trainant dans la vase, et parfois visités par des poissons égarés. J’irai surement les rejoindre, j’imagine déjà mon corps descendre doucement, telle une plume, dans ces eaux profondes et meurtrières.

Où que je pose mon regard, elle est là, inexorablement plus proche, et lointaine à la fois. Elle le fait exprès. Elle veut m’aliéner, avant de m’enchainer. Elle me veut folle.

Les vagues d’écume autour de moi, on dirait les notes d’un piano. Voilà qu’elle se met à jouer cette mélodie sinistre. Mon dernier requiem. La messe des morts. Wolfgang Amadeus Mozart. Sa dernière création, je crois bien. La fin ? Ma fin. Cette musique qui résonne à l’intérieur de moi. Elle est belle, mais insistante. Étouffante. Persévérance, perverse. Parfois criarde. Elle me dérange.

Ils sont bizarres, ces nuages. Ils se rapprochent. Ils sont noirs, noirs comme le deuil. Cette mélodie m’enveloppe, comme un tourbillon de fumée, un volupte charnel de poussière nocturne. Je ne cherche pas à essayer de les dissiper ? A quoi bon ? Alors mes paupières s’écroulent devant mes yeux. J’aime le noir. Ça fait un peu comme un voile opaque devant mes prunelles. Et puis maintenant, l’eau sur mon visage est devenue vivante. Plus réelle. Vraie.

J’ai comme l’impression de ressentir chacun des atomes dégoulinant sur ma peau, ainsi que la fraicheur glaciale du vent qui fouette indéniablement mon visage. Il ne me fait pas mal, en fait. Il est juste là, parce qu’il doit l’être. Je crois qu’il aide la mer à m’assassiner. Son rôle à lui, c’est de m’étrangler. Ses doigts crochus enserrent mon cou, et tente de le faire imploser. J’ai l’impression de manquer d’air, de suffoquer. C’est désagréable, comme sensation, de s’éteindre lentement.

C’est comme une flamme qui vacille, faiblit, rougit, puis disparait sous une goutte de cire. Et maintenant, que faire ? Peut-être que je vais attendre. Je crois que l’on me murmure mon prénom. Un matelot ? Sa voix résonne en moi, elle tremble un peu. Je crois qu’elle tente de me faire redescendre. Elle dit que c’est dangereux. Elle a raison mais… Je n’en ai cure.

C’est comme si l’esprit des eaux me possédait, qu’il était présent partout en moi. Entre chaque pore, veine et organe. Chaque particule qui me constitue est comme hantée par elle. Je me sens bien, pourtant. Je me sens reine, là-haut. Je surplombe toutes ces choses, sur cette vigie. Peut-être qu’ils me cherchent ? Moi aussi, j’ai peur.

Un éclair déchira le ciel pour mourir dans la mer. Mauvais présage ? Au loin, une éclaircie subsiste, comme porteuse d’un message d’espoir. Mais c’est trop tard, trop tard… Cette éclaircie brille comme le soleil, je suis sûre qu’elle pourrait nous sauver. Mais déjà le bateau tangue à nouveau. J’ai peur, peut-être devrais-je sauter maintenant ? Entre le pont et cette vigie, il doit y avoir dix mètres. Si je tombe, je meurs, n’est-ce pas ?

Une vague immense se profile à l’horizon. Je l’imagine déjà s’écraser contre mon visage, puis les gouttelettes de sang se mélanger à l’eau, ils sont fusionnels. Je ne souffrirai pas longtemps. La voix ici bas continue sans cesse de geindre mon prénom, fredonne cette ultime litanie. Elle tente de me retenir à la vie. Peut-être n’a-t-elle pas compris qu’il était trop tard… Elle bourdonne entre mes tempes. C’est long, la mort.

La vague s’approche incessamment. Elle me veut toute entière. Je vais m’offrir à elle. Peut-être même que j’ai hâte…