J'ai retrouvé ce texte dans mes dossiers d'écriture et ... j'ai eu envie de le partager
J'ai mis "Zola", précisément, le texte est sur Flore, un des personnages de
La Bête Humaine. Le texte a été écrit dans le cadre d'un défi nommé "6 variations", et j'avais choisi le thème "Un billet pour l'Enfer" (j'ai donc écrit au total ... 6 textes, vous avez bien compris
).
Pas grand chose à dire d'autre, si ce n'est que j'aime vraiment beaucoup ce texte même s'il a un peu vieilli <3
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Ton regard brûle, comme brûle ton âme. La colère a coulé en toi, et a resserré sa main, une main si douce et, pourtant, froide comme l’acier, autour de ton cœur. Alors même qu’il savait, alors même qu’il t’avait rejetée pour ce monstre à la gueule de métal, tu as découvert qu’il t’avait menti, et qu’il avait osé… osé…
Oser se pavaner, là, sous ton nez, sans jamais le savoir. Tous les jours, tu attendais le moment fatidique qui accompagnait la fin de la semaine. Ce moment, qui te tuait à petit feu. Quand l’air devenait brûlant comme la haine, chauffé par les mécaniques rougies de colère de la locomotive. Quand tu dois les voir passer, chaque semaine, lors de leur aller-retour hebdomadaire, tu te tends comme une corde d’arc, prête à tout. Mais tu ne peux rien faire, et cette incapacité te désespère intérieurement. Qu’importe le reste, que tu affrontes avec cette morne expression qui est devenu le masque perpétuel de ton visage ! Ce que tu veux, c’est la vengeance. Le goût du sang et de la victoire sur ton palais en mal d’amour.
La rage cascade dans ton âme, sur ton corps musclé d’amazone. Et tu souris à la manière des carnassiers, quand tu sens dans l’air la possibilité de faire tomber la punition, de commencer ta vendetta sauvage. Tu es fière, belle ciguë, et tout aussi mortelle. Voilà ce qu’il avait oublié, en te rejetant, te dis-tu. Et si tu ne pouvais rien faire contre un chien à la gueule d’acier, tu peux briser avec une facilité démoniaque le corps frêle de la poupée de porcelaine qui lui sert de compagne. Tu la dévoreras. Tu lui feras comprendre que rien, rien ne lui est du, en ce bas-monde, et qu’elle n’avait pas à avoir l’audace de voler celui qui fait battre ton cœur.
Mais, un instant, tu trembles. Tu trembles de ne pouvoir réaliser ce que tu veux. L’engrenage serait pourtant si parfait. Mais quelqu’un arrive, tu ne peux t’enfuir pour défigurer les rails. Tu tournes comme une bête prise en cage. Tu rages. Tu hurles. Sans un mot, sans un cri. Ton regard contient tout, tout ce qui te brûle, mais personne n’arrive à le lire. Voilà bien ta chance et ton malheur tout à la fois. Tu sais qu’ils pourraient t’arrêter, s’ils voyaient ce qui te ronge, mais tu sais aussi qu’Il te fera subir toute ta mort les pires châtiments, car Il connaît les tréfonds de ton âme.
Il sait que la belle amazone fera tout pour se venger. Et le diable en personne te donne l’occasion de le faire, digne de toi, guerrière sauvage ! Les chevaux des cavaliers de l’apocalypse te furent offerts, portant les pierres qui ruineront l’acier le plus puissant.
Tu sais bien que, quand le fer mordra la roche, tu auras scellé ton destin. Mais, tu l’espères, tu auras aussi scellé celui d’une poupée de porcelaine, trop fragile pour être digne de celui que tu aimes, et d’un conducteur de locomotive auparavant amoureux du métal…
Alors, quand crissent les roues, quand les wagons s’éventrent contre ta muraille, tu te sens soulagée. Quand le feu dévore certains êtres, quand les blessures en tuent d’autres, quand l’enfer s’abat sur les innocents, toi, tu soupires de joie. Peu importe le nombre de sacrifiés pour ta cause désespérée, peu importe le nom de ceux qui ne se relèveront pas de leurs plaies et de ceux qui en souffriront toute leur vie ! Tu désirais expurger ton âme, la vider à jamais de ta colère et de ta rage. Quand tu vois le désastre que tu as causé, certaine qu’ils sont morts à jamais, alors, enfin, tu souris.
Mais alors le cri de la vie transperce tes tympans martyrisés. Ton cœur s’élance, brûlant de douleur. Le diable t’a promis la mort, il t’a donné la vie, jeune amazone : des décombres sanglants, on extrait Jacques, sonné, mais entier, l’esprit toujours présent et son cœur battant toujours pour Séverine.
Et tombe sur toi le désespoir le plus noir. Tu viens seulement d’acheter ton billet pour l’Enfer, Flore, et tu le sais. Alors tu t’éloignes. Doucement. Tu veux ignorer les cris qui ragent, le regard hébété, et tu veux souffrir, seule, mourir, seule.
Rejoindre la mort qui est l’unique à avoir le droit de te prendre ta virginité d’amazone. Rejoindre la mort qui t’enverra dans les flammes.
Tu es l’amazone des rails, et tu mourras sur les rails.
Ils furent ta vie, ils honoreront ta mort.
corrigé le 15 mars